Le point noir des zones blanches

Dans la téléphonie mobile comme dans bien d’autres secteurs, la technologie trouve ses limites aux frontières d’un retour prévu et rapide des sommes mise en jeu. En effet, pour rentabiliser les investissements structurels que réclame la téléphonie mobile, il faut couvrir des bassins de population denses où l’abondance de la clientèle permet un amortissement rapide des installations, en particulier des indispensables relais hertziens. Et, un relais de téléphonie coûte quelques fois fort cher. Les trois opérateurs français, Bouygues Telecom, Orange (France Telecom) et SFR, ont donc investi de préférence dans les zones très urbanisées, délaissant volontairement les secteurs les moins habités. Ainsi, certaines régions d’Auvergne (telle la Creuse) où encore des Alpes, de Provence intérieure ou des Pyrénées sont aujourd’hui volontairement maintenues dans un lourd silence hertzien.
Or, si ces zones de «silence» ne gênent en rien les opérateurs, les habitants de ces régions ne l’entendent pas de cette oreille. Via leurs élus, ils multiplient les interventions auprès des autorités de tutelle afin de ne plus être les oubliés d’une technologie dont ils considèrent être si injustement privés. Le gouvernement semble aujourd’hui les avoir entendus. Il vient de considérer qu’il y avait là une inégalité inacceptable et par conséquent, il somme les opérateurs de remédier à cette lacune.
Les opérateurs jusque-là très à l’aise avec un cahier des charges dénué d’obligation de ce type vont donc devoir sérieusement mettre la main à la poche, d’autant que les régions concernées sont souvent montagneuses. Un obstacle de taille car la mise en place d’une bonne couverture dans les zones aux reliefs élevés suppose la surmultiplication des relais et des réseaux d’alimentation.
A l’heure actuelle, il subsiste encore 3 000 points noirs sur le réseau français de téléphonie. Un record en Europe de l’ouest. Les éliminer signifie pour les trois opérateurs de lourds investissements, synonymes d’une amputation délicate de leurs profits, lesquels sont surveillés par les actionnaires comme le lait sur le feu. Mais, entre une concurrence à peine bâillonnée par un jeu tarifaire subtil un endettement qui vire au rouge comme c’est le cas de France Télécom, la période se prête mal à l’investissement dans l’économie équitable. Pour ces champions de la communication tout azimut l’heure serait plutôt, face aux réclamations des laissés pour compte du mobile, à la politique de la sourde oreille.
Une attitude dangereuse qui pourrait bien se heurter à l’arme coercitive de choc du gouvernement: le renouvellement des licences. L’affaire, sans faire grand bruit sur la place publique revêt donc des allures légèrement conflictuelles. Des contrats ont pourtant été déjà passés entre le gouvernement et les opérateurs. Ceux-ci fixaient comme objectif premier l’équipement, d’ici à trois ans, des 1200 premières communes parmi les malheureuses oubliées des réseaux. Coût de cette première opération : 250 millions d’euros. Un montant qui a de quoi refroidir les financiers les plus solides.
Aujourd'hui, à peine 350 sites ont donc fait l’objet d’un accord entre collectivités et opérateurs, et seuls quelques pylônes ont été installés. Pour le gouvernement on est encore loin du compte. Sachant qu’il faut 24 mois pour installer un relais, en l’absence d’une réaction rapide des opérateurs, l’affaire pourrait bien prendre une vilaine tournure politique dans les régions concernées. Par le jeu classique de l’action/réaction, ce sont à leurs tours les échéances électorales qui, du coup, pourraient pâtir du manque d’efficacité des politiques face à l’inertie des opérateurs. Alors, coté Matignon, on commence à s’agiter sérieusement autour du mobile…